Raymond Loewy, père de tout ce que le design compte de meilleur depuis un siècle, a résumé le débat en une phrase splendide, cinglante, définitive : La forme doit exprimer la fonction. Et tout le reste est littérature pour collectionneurs de dagues heroic fantasy.
Le Becker Campanion BK2, signé Ka-bar, est la parfaite expression, en coutellerie fixe outdoor, de ce mot d'ordre loewiste.
Que voyons-nous ? Un objet extraordinairement monolithique.
Un bloc noir, où le manche est aussi massif, aussi aveugle, aussi métallique et froid que la lame est imposante, prédatrice et inspire confiance. Le BK2 ne fait qu'un, il fait corps avec lui-même. BK2 = BK2.
La lame est furieusement coupante et épaisse : les deux en même temps. Elle tient à la fois de la hache et du rasoir. Elle ne présente pas la moindre fioritures : oubliez les courbes érotiques et les serrations façon Rambo. Ici, on n'est ni chez les esthètes du meurtre imaginaire, ni chez les survivalistes sous amphétamines. Ici, on tranche, et c'est marre. On coupe du solide, du bois lourd, de l'acier, du parpaing, de tout ce qui résiste, mais on ne fait rien d'autre que de couper. On n'a rien à foutre dans une vitrine, ni à table, ni dans un combat de rue. On démolit tout ce qui résiste aux autres couteaux.
Le manche est une hallucination ergonomique. Malgré sa matière lourde et froide, sa forme se fond dans la paume de la main comme une greffe. Les doigts se referment sur lui comme sur une rampe d'escalier en plein cyclone. Ce manche pesant comme le Destin, et pourtant étrangement sensuel, au toucher très discrètement soyeux, aux courbes délicieusement sûres de leur fait, relève du miracle morphologique. On nage dans un mix de bio-design impeccable et d'esprit indus post-nucléaire. Une puissante réussite de conception. Le BK2 est un des rares couteaux où absolument rien n'est anecdotique.
Au cul, un brise-vitre. Ou plutôt : enfin un brise-vitre digne de ce nom. Malheur aux pare-brises qui feront sa connaissance.
L'étui ? Plastoc, donc pas terrible, mais au moins conforme au message délivré par le contenu : les rigolos sont priés de revenir un autre jour. Le BK2 n'est pas fait pour frimer au Buffalo Bill Exclusive Collectors Show. Un étui en cuir à franges serti de turquoises lui irait comme une guirlande de Noël à un tank.
Et ça coûte ? 81,45 Euros chez thebestknives.eu, port compris. Un rapport qualité-prix de ce niveau, c'est à te dégoûter de pas mal de marques réputées solides.
Si le BK2 est devenu une star de la coupe outre-Atlantique, et un objet-culte dans toutes les collections, c'est qu'il est à peu près indestructible. Youtube regorge de vidéos hyper-savoureuses, où des mecs têtus comme des mules cherchent à lui faire la peau. La plupart se fatiguent longtemps avant lui. Le Campanion est l'ami des costauds, des pas précautionneux, des qui ont besoin (et pas seulement envie) d'un couteau sans peur et sans reproche, les habitués des chantiers à casque obligatoire, du défrichage dans la boue, de la casse qui fait du bruit et du déglinguage définitif... mais aussi, of course, l'accompagnateur rassurant du randonneur hors-pistes, de l'aventurier sans iPhone et du bivouaqueur en territoire grizzli. Il est la poésie sombre et minimaliste de la mise en pièces et de l'abri improvisé. Le Campanion est le couteau du réel, certes, mais il est beau comme un poignard spécialement créé pour Ellen Ripley.
Oui, il est beau. Terriblement beau à voir et à toucher. Émouvant. "Campanion". Même son nom exprime la fonction. Malheur à ceux qui ne comprennent pas cette esthétique plus pure que la nuit. Il seront réincarnés en bûches.
(Je laisse les spécialistes décrire son acier et ses vertus techniques. Je n'y connais rien et je ne ferai pas semblant. Je parle du point de vue de l'utilisateur, pas de l'expert. Mais, si j'ai bien lu ce qui s'en dit sur les forums Ricains, tous les experts en lames qui examinent de près le BK2 finissent... utilisateurs du BK2.)
Je vous le montre ci-dessous accompagné de mon Français. Pour comprendre un bel objet, rien ne vaut la juxtaposition avec un autre bel objet.
Et ici, la description technique qu'en fait Ka-Bar :