Avez-vous déjà bien observé les amateurs de lames en acier oxydable ?
Certains surveillent de façon obsessionnelle l’apparition de la moindre trace d’oxydation et passent un temps considérable à passer sur la lame un chiffon doux imbibé de pâte à polir et à homogénéiser amoureusement la couche protectrice d’huile naturelle de testicules de varan.
Ceux-là ne sont pas très intéressant, juste une petite névrose ponctuellement acceptable … pas pire que la belle-mère qui fait le ménage de la chambre d’amis tous les jours de la semaine, quoi.
D’autres, de façon tout aussi obsessionnelle, organisent soigneusement l’emploi du temps de leur lâme de façon à obtenir la divine PATINE NATURELLE.
Mais qu’est-ce donc que cela ?
La PATINE, c’est l’usure, l’altération de la lame en fonction de l’usage qui en a été fait.
La PATINE, c’est une preuve que le couteau a vécu, a servi fidèlement et loyalement son propriétaire.
La PATINE, c’est protéger efficacement l’acier de beaucoup d’agressions quotidiennes, unifier chromatiquement ses oxydations successives.
La PATINE, on l’exhibe fièrement lorsqu’elle est homogène, lorsqu’elle révèle timidement mais avec délice une ligne de trempe bien marquée.
La PATINE, c’est faire le choix de mettre dans sa poche la poésie intemporelle des lames d’antan.
La PATINE, c’est recourir à une infinité d’astuces pour imiter ou accélérer les effets naturels du temps, obtenir rapidement ce supplément d’âme qui rend un couteau si attachant – car la Passion n’attend pas, on aura vite fait d’en adopter un nouveau …
C’est là qu’on voit indifféremment le jeune freluquet, le vieux lamescoolique et le fringant knife-geek changer de régime alimentaire pour ruser avec la patine : les voilà soudain pris de fringales fruitières à faire rougir nombre de femmes enceintes, à peler frénétiquement des pommes au lieu de croquer bêtement dedans, à couper fébrilement des oranges en morceaux pour les enfants, à rechercher maladivement le moindre morceau de viande crue à couper en petits dés ou en émincés, à étaler des tartines de pâté de foie pour sa gentille femme qui l’a bien mérité, même s’il n’est que 16 heures, avec des cornichons coupés en fines tranches bien sûr – le vinaigre c’est impec pour la lame … tu veux pas de la moutarde aussi sur tes toasts ? si-si, essaie, c’est bon, tu verras !
La patine rapproche les générations, car elle permet l’échange entre elles ; chacun est avide de connaître le comment de telle ou telle patine.
Eh, oui, comme les antiquaires et les décorateurs, l’amateur de belles lâmes a des RECETTES pour obtenir la plus belle PATINE et les échange avec avidité lors de discussions avec d’autres accros.
Que vous soyez trempeur de perchlo ou frotteur de salade vinaigrette, vous avez sans doute vos propres recettes, non ?