Bonjour à tous,
Nouveau venu sur ce forum, j’ai choisi un pseudo « transparent » : celui de mon village (Corse !) où j’exerce le métier de coutelier forgeron.
J’ai lu tout le long sujet, une après-midi entière (il faisait trop chaud pour bosser !). J’ai approuvé beaucoup de ce qui a été écrit, partagé pleinement un certain nombre de points de vue, rencontré des sensibilités - voire des philosophies – qui me ressemblent (FTiger, entre autres, pour ne pas le nommer…).
Cela fait bientôt dix ans que je fais des couteaux et cinq ans que je parviens à vivre de ce que je produits. Je ne roule pas sur l’or, ni en Ferrari, et je ne compte pas que ça m’arrive un jour (vu l’état de la route qui mène jusqu’à chez moi, ce serait du gâchis !…). Je vis comme il me plait, tâchant chaque jour d’accomplir ce que j’ai décidé de faire le matin même.
Un couteau, c’est jamais qu’un outil tranchant, une émouture propre, et un manche. C’est parfois un objet qui peut être beau, sans pour autant attirer l’œil, ni employer des matériaux rares. C’est également un objet qui peut raconter une histoire, et en premier lieu celle de sa création.
Personnellement, c’est ce qui m’attire avant tout : partir d’une idée, d’un concept, d’un vague dessin et tâcher d’en décliner plusieurs essais. Si j’ai de la chance, et que je suis en forme, ça passe du premier coup et la « portée » va être plus ou moins prolifique selon l’humeur (« frères, mais jamais jumeaux », la formule m’a plu, je m’en resservirai en citant mes sources !). Sinon pas mal de lames terminent plantées dans le mur de l’atelier pour servir de clous, ou partent directement à la poubelle… Si j’ai vraiment pas de bol, je prends ma moto et je vais faire un tour en attendant que ça passe…
J’ai des angoisses dés qu’on me réclame de refaire un couteau réalisé il y a six mois, ou bien un service de table. Alors faire des séries, assembler des lames, etc… tout ça me gaverait profondément !…
C’est un autre Métier. Mais j’admets bien volontiers qu’un coutelier puisse faire appel à la sous-traitance industrielle ne serait-ce que pour arrondir ses fins de mois, ou pour celui qui est renommé, pouvoir offrir une entrée de gamme à bas prix.
Cette parenthèse (un peu longue) étant destinée à me présenter et à me situer, j’aimerais pouvoir revenir à la question initiale soulevée par Lopignais (Salut Serge !!!), car c’est la raison de mon intervention.
Je connais peu de choses sur la coutellerie continentale, aussi mon regard se porte essentiellement sur les couteaux vendus dans mon île.
Beaucoup de gens fantasment sur le couteau corse, qui n’est ni plus ni moins qu’un outil utilisé par des générations de bergers, cultivateurs, chasseurs,… dont les formes s’inspirent de ce qu’on peut trouver dans d’autres civilisations agro-pastorales (témoin ce Curnicciullu trouvé en Anatolie et ce Stoccu ramené du Népal…), parce que les usages et les matériaux disponibles étaient les mêmes qu’ici.
Je vais éviter les redondances, car je m’explique de tout cela bien longuement (coups de gueule compris) sur
http://www.couteau-corse.com.
Je ne m’érige cependant pas en Ayatollah : je respecte a priori le Travail et l’Homme, ainsi que toute Entreprise Humaine (Y compris les PME : Partisans du Moindre Effort, à condition que leurs démarches soient sincères). Car nul n’a le droit de mentir !!!
Il y a cependant beaucoup de choses qui me troublent... Même si elles ne m’empêchent pas de dormir, ni de vivre ma Vie.
Qu’un commerçant utilise le travail d’un jeune coutelier corse en guise de caution pour écouler 99% de sa production Made in China, n’est qu’un aspect de la question. Il me semble que les fautifs sont le commerçant lui-même, les services de la Répression des Fraudes, une réglementation plus que floue, la naïveté des acheteurs… Certainement pas le jeune coutelier (que je connais) qui écoule ainsi une partie de sa production artisanale parce qu’il a une famille à nourrir.
Dans un tout autre lieu qu’Ajaccio,… faire passer en manche de bélier découpé dans le Massif Central pour de la corne de chèvre corse, me parait déjà relever de l’erreur de jugement (je n’ai pas encore employé le terme « mensonge », mais ça va venir…).
Vendre des couteaux en Damas de Bonpertuis ou d’ailleurs, et prétendre que c’est du forgé main par soi-même ?… Proposer des finitions « brutes de marteau », effectuées à la machine ?… Diffuser une publicité présentant des couteaux corses - fabriqués en Espagne - sur fond d’images de forge et d’enclume ?…
Bon, j’arrête ou je continue ?…
Ce problème déborde certainement le MCC (microcosme coutelier corse).
Il y a pas si longtemps la télé diffusait un spot dans lequel on voyait un type faire de l’accro branche pour capturer une poule… Je connais la question et je préfère manger les poulets que j’élève (aussi !).
Partout il existe des aigrefins qui parviendront à faire passer un mauvais fromage tchétchène pour un véritable Saint Nectaire Fermier. Les éliminer tous prendrait trop de temps et coûterait trop de cartouches…
Je préfère éduquer les masses (Lénine).
A prestu ! (à bientôt).