Je me demandais si ça vous arrivait aussi parfois...
En rangeant un peu, en faisant les poussières d'un modeste ensemble coutelier qui n'a de collection que le nom, je me suis procuré une petite joie ce soir.
Depuis quelques temps, mon EDC tournait un peu... en rond, autour de 4, 5, voire 6 modèles, toujours les mêmes, associés différemment (par 3 le plus souvent), mais sans véritable nouveauté. De temps en temps, même si les occurences s'en font toujours trops rares, un nouveau couteau fait son apparition, et bien naturellement, il trouve alors une place prépondérante au sein du fameux EDC pendant quelques jours... mais globalement, le contenu de mes poches varie très peu d'un jour sur l'autre.
Conscient de la chose, j'en éprouve parfois une certaine culpabilité, et les pauvres lames ainsi délaissées semblent me reprocher constamment un statut de victime de crise d'achat compulsif, de mal-aimée, de désaimée...
En fait, je crois surtout que ces lames-là sont jalouses de mes régulières, frustrées de ne figurer que dans le second cercle de mes intimités coutelières!
Alors, mais je le reconnais bien volontiers, assez rarement, j'intègre un de ces couteaux dans mon EDC, où il peut revenir épisodiquement...
Seulement, ce second cercle, composé d'une douzaine de couteaux, ne suffit pas à prendre la mesure de l'incroyable profondeur de ma t-wanesque collection...
En fait, dans un monde secret, tapis là, au fond d'un tiroir, dans l'obscurité d'une boîte à gants, perdus entre deux bouquins, des couteaux nous attendent... fermés, le tranchant bien à l'abri entre leurs plaquettes empoussiérées, ils sommeillent tels des belles au bois dormant d'acier (Iron maiden?), rêvant des nouvelles ficelles, des probables cartons, des prochains steacks que la main d'un prince charmant leur promettra dès la prochaine étreinte.
C'est un de ces orphelins que je viens de ramener au jour, presque par hasard, à moins que.… à moins que le Grand Forgeron ne veille par delà notre perception au destin des lames oubliées?
Quel couteau? Est-ce vraiment important? Ce Thiers, je l'avais presque oublié… en fait, c'est l'un des rares à n'avoir jamais approché le second cercle: il me faut même confesser ne m'en être servi qu'à deux voire trois occasions depuis que j'ai croisé sa route, il y a quatre ans et demi, dans une coutellerie de Saintes. Je n'avais du le ressortir qu'une fois pour une photo, pour quoi, deux, trois minutes?
Le voilà à la lumière du jour, enfin ! la lame semble comme résister à l'ouverture, et proteste devant une si brusque révélation: les reclus ont besoin de temps avant de rejoindre le monde...
Doucement, je la ranime, d'un souffle, d'une caresse, l'oint légèrement d'huile fine, un petit chiffon doux, la pâte à polir, rose, qui s'étale telle une promesse de lendemains heureux...Quelques instants plus tard, ce sont les céramiques du 204 qui crissent de plaisir...
Voilà, le Thiers est prêt, et je n'ai pas le temps de le déposer délicatement dans la poche arrière du jean ("enfin", suis-je presque sûr de l'entendre chuinter en glissant contre la toile denim) pour sortir la bavette, la poêle, le beurre, que déjà je l'en ressors d'un geste sûr, comme répété mille fois en signe d'une vieille complicité: l'échalote n'attend pas...
L'épreuve du steack n'en fut pas vraiment une (ou alors couronnée de succés), mais plutôt une réconciliation, une renaissance.
Et voilà que ce soir, alors que ma main s'avançant au hasard dans le fourbis d'une vieille boîte se referme sur l'objet, je comprends enfin: il n'est pas de couteau oublié, pas d'achat à regretter, pas de rebut coutelier, mais seulement des outils qui ne savaient pas encore comment prolonger une main...
Demain, à coup sûr, j'aurai un Thiers en poche...