par Nekoashi » 31 Juil 2019 15:39
Un jour que je farfouillais dans un tiroir de cuisine de ma grand-mère, à Rodez, j'ai déniché un vieux Laguiole qui ne payait pas de mine: la lame tellement patinée, voire rouillée par l'usage quasi quotidien, le ressort bloqué d'être resté ouvert si longtemps et engorgé de restes alimentaires. Les plaquettes d'un blanc jaunâtre se révélèrent pourtant, après examen, être en ivoire. Sur un côté, une petite plaque de laiton incrustée dans l'ivoire était gravée au nom de son précédent propriétaire: "A. Cros", mon arrière-grand-père !
Ravi de cette découverte, je me suis empressé de le nettoyer minutieusement, lui redonnant une apparence plus qu'acceptable. En fait, il était en parfait état. Il faisait 23 cm ouvert, la lame à peine usée par les aiguisages successifs, seul le ressort avait un peu de jeu, mais rien de bien grave. C'était un magnifique Calmels des origines, avec pointe et tire-bouchon, que mon arrière-grand père, que je n'avais pas connu, portait au quotidien dans sa poche, comme la plupart des aveyronnais. D'ailleurs, elle finissait toujours par se déchirer, à cause de la forme courbe du dit couteau.
Après en avoir reçu l'autorisation, j'en ai fait Mon couteau et l'ai trimballé partout avec moi.
Quelques années plus tard, alors que je travaillais comme palefrenier dans un centre équestre aveyronnais, à Salmiech, je me servais toujours de mon couteau; à table, bien sûr, pour tailler le pain et trancher poulardes et tripoux, mais je le gardais également toujours dans ma poche: quand on travaille avec des chevaux, il est bon d'avoir un couteau avec soi pour couper une sangle si un cheval s'affole lorsqu'il est attaché. Plus il tire, plus il s'emballe et le seul moyen de lui éviter des blessures graves est de trancher le lien qui le retient. Bref, j'avais toujours mon couteau en poche... sauf quand je portais ma tenue d'équitation, pantalon moulant, qui n'en possédait pas. Un jour ou je montais, j'ai donc laissé naïvement mon beau couteau sur une table de la salle commune. C'était un centre équestre connu et beaucoup de monde passait par là. J'avais confiance dans les gens qui travaillaient avec moi, mais j'ai été naïf de croire que tous les visiteurs pouvaient être honnêtes. Il a suffi d'un, ou d'une, pour me le voler.
J'ai gardé longtemps l'amertume de cette indélicatesse dans mon coeur. Quelques années plus tard, pour compenser cette perte, je me suis rendu à Laguiole pour me racheter un nouveau couteau aux plaquettes d'ivoire, en souvenir de celui de mon arrière-grand père.
Aujourd'hui, j'ai toujours mon Laguiole avec moi, mais je ne porte plus de pantalons sans poches et ne laisse traîner aucun de mes couteaux.