par Efix » 02 Jan 2013 09:29
On peut dire que la coutellerie custom US est bien plus ancienne que la nôtre. Et de fait, ils ont un recul que nous n'avons pas.
Ils ont surtout des grands couteliers emblématiques, dont beaucoup sont décédés, ce qui fait considérablement monter la sauce en termes de prix, c'est assez spéculatif.
Je ne regrette pas d'avoir vendus les 2 Loveless, j'ai quand-même fait un gros profit dessus, même si ce n'était pas le but au départ.
Par contre, si je prends le petit Moran que j'avais acheté 250 ou 350 dollars, dans les années 80, qui figurait sur son catalogue à 50, je ne le vendrai jamais, mais aujourd'hui, je suis certain que sur un site US, il partirait à 3000 ou plus.
Il semble, par contre, très illusoire, que des couteliers d'aujourd'hui arrivent à ces chiffres. Sauf de très rares, comme Walker, parmi ceux qui sont encore en activité.
En Europe, quelques rares tiennent très bien la côte, comme Kressler.
En France, le problème est que très peu de nos couteliers sont vraiment connus aux USA. Seul Charlie Bennica a vraiment fait son trou, mais cela peut s'expliquer parce qu'il est dans le "ton" : des fermants remarquablement ajustés et enrichissables à souhait (il peut les décliner en matières précieuses, en gravures, ce qui plaît beaucoup aux gros collectionneurs US). D'autres ont rencontré un beau succès, mais les américains ont la mémoire courte et il faut y aller, y re-aller, y retourner... Si tu sautes un salon de NY ou de san Diego, tu es oublié, parce qu'ils ont un tel réservoir, qu'ils n'ont que l'embarras du choix.
Pierre Reverdy a une bonne clientèle aux US, et c'est en Russie qu'il est en train de faire une belle percée, mais ça demande du temps et un gros investissement.
Ce qui est certain, c'est qu'en france, notre coutellerie custom est encore jeune, que pratiquement tous ses acteurs sont vivants (et c'est tant mieux). Nos grands anciens, vraiment anciens, ce sont des couteliers des siècles passés, eux font vraiment un tabac dans les ventes ! Crocombette, Béligné de Langres, Calmels anciens, etc... Mais dans les dernières ventes aux enchères, je n'ai pas été très surpris de constater que des Graveline, Beillonnet, Viallon... N'aient pas trouvé preneur : 1, ils sont vivants et leurs premiers couteaux (d'il y a 20/25 ans pour Henri et moins pour les autres), n'étaient pas fantastiques - 2 -Ils ont progressé et les acheteurs préfèrent s'adresser directement à eux.
Parmi les Européens,quelques italiens percent aux USA, mais pour plaire aux américains, il faut du chicos, du pliant très bien fini, un certain style, auquel très peu de Français osent vraiment s'attaquer.
Quelques gros collectionneurs font et défont les côtes, c'est presque un système mafieux - cocktails privés, ventes privées, si Machin en a un, j'en veux un, etc... Et surtout ce fichu système des urnes où les acheteurs potentiels mettent le prix qu'ils sont prêt à payer, ce qui entraîne des prix absolument dingues ! Mais lorsqu'un couteau a été acheté 80,000 dollars, comme ce fut le cas pour un Walker "tout neuf", à peine terminé la veille d'un salon, on sait que la côte de Walker va encore monter.
Et puis le couteau fait partie de la culture américaine et les grosses fortunes aussi. En France, il y en a aussi, mais le couteau est connoté de manière différente, les grosses fortunes iront plus vers les croûtasses des peintres en vogue (et il y a le phénomène de la défiscalisation..., que vers ce que les gouvernements successifs ont clairement défini comme des armes...
D'ailleurs, le marché des armes de chasse luxueuses, s'est littéralement effondré, chez nous.
J'ajouterai que lorsqu'un coutelier français fait un bon salon aux US, c'est que les 3/4 du temps, il vend tout ou presque à des dealers... C'est ensuite que les prix montent...
La vraie valeur sûre, dans le domaine des couteaux accessibles, c'est Fred Perrin, qui a vraiment fait son trou aux USA, mais ça ne s'est pas fait en deux jours, il y va depuis 20 ans. PH fera son galop d'essai, cette année et il est bien dans le ton de ce qui plaît à une certaine clientèle, mais ces couteaux-là se vendent ailleurs, pas dans les salons de coutellerie, mais beaucoup plus dans ce qu'ils appellent des "rendez-vous" en français : ce sont des salons qui s'adressent à des passionnés de reconstitutions historiques, ciblés old wild west : les reenactors. Nous saurons en Juin s'il a vendu et c'est tout le mal que je lui souhaite.
Mais à chaque fois qu'on me demande : "crois-tu que j'ai une chance en faisant tel ou tel salon ?", je réponds toujours "vas-y comme si tu te payais un beau voyage, ne pense pas à amortir ton trip. Si tu vends, tant mieux, mais c'est un marché très difficile."