Pour peu que vous vous soyez un jour intéressé aux propriétés des aciers de coutellerie, vous avez sans doute été un moment vaguement déboussolé par – disons – la profusion des avis donnés par les usagers, les amateurs, les professionnels et autres accros.
Et c’est bien le problème : tout et son contraire a déjà été dit, et ce même par des gens qu’on sait irréprochables dans leurs connaissances, savoir faire et expérience sur le sujet !
Passe encore que les acteurs économiques du domaine cultivent le secret, le marketing et la communication sur ce qui est censé faire de leur produit le meilleur couteau du monde (quoi que cela veuille dire …), on va dire que c’est le jeu.
Passe encore que les non-spécialistes des aciers colportent, amplifient et déforment les maigres connaissances qu’ils ont retenu ou cru comprendre de la métallurgie, ne leur lançons pas la pierre le sujet est terriblement plus compliqué qu’il n’y paraît, croyez-moi.
Passe encore que l’on fasse mine d’ignorer que d’autres facteurs influent énormément sur les capacités de coupe d’une lame (géométrie, émouture, tranchant, traitement thermique).
Mais que les experts reconnus se contredisent, voilà qui suffit à donner pleinement du grain à moudre aux moulins de la mystique des aciers …
Qui n’a jamais été tenté d’acquérir un jour LE couteau ultime, supérieur aux autres, à tous les autres ?
Qui prouverait au monde la supériorité indéniable de son propriétaire ?
A l’épreuve de la sordide rouille, même en pleine mer ?
A l’épreuve de l’inique fissure, de la traitresse ébréchure, pire : de la déshonorante pointe brisée ?
Quoi de plus honteux qu’un tranchant émoussé ?
Normal alors, extrêmement normal de rechercher le Saint Graal du Couteau par la puissance de l’acier dans lequel est taillée la lame.
Du coup, périodiquement, les fabricants essaient de relancer La Quête en innovant :
Après de longues années après-guerre durant lesquelles la mention « acier fondu » s’est battu en duel avec les célèbres «stainless », « rostfrei », « nogent inox », après le retour en grâce du « forgé » avec les aciers laminés ou estampés marqués « acier inox forgé », après la résurrection de l’acier « carbone », puis les « inox à haute teneur en carbone » vint enfin l’heure des prestigieux aciers frittés, CPM, MIM, la redécouverte de l’archéologique et donc forcément plus authentique « damas » qu’il soit forgé, feuilleté ou mieux encore « poétique », suivi de près par son interprétation en métallurgie des poudres, puis l’avènemement de l’acier de la pureté, en droite provenance du jardin d’Eden, j’ai nommé le fabuleux XC75 forgé main, ou alors pas forgé du tout (plouf) …
AH ces clients, comme ils sont versatiles et schizophrènes …
Et encore, je ne parle même pas des durables 12C27, discret mais efficace, et 440C et déclinaisons locales (T10MO en France).
Voilà comment on en arrive à des discussions passionnées, fanatiques et hyper constructives dans le genre :
Les Mongins ça ne coupe pas
Le S30V, c’est de la merde, ça rouille, ça s’ébrèche, y’a que le VG10 qui vaille le coup
Le XC75 ? mais c’est de la drouille, si vous voulez un couteau il faut qu’il soit en C130
Le 420, on en fait des tambours de lave-linge, pas des couteaux
Blablabla.
Et en fait, tout le monde a raison, et tort à la fois ! Chacun ne voit que les exemples et les contre-exemples de sa connaissance !
La vérité, c’est que la métallurgie (théorie, élaboration, mise en forme et utilisation) est absolument tout SAUF une science exacte …
Alors, finalement, je me dis que, vu ce que je fais du couteau, je ne vais pas bouder mon plaisir sous prétexte que la lame n’est pas en ZdP75CPM-VG10-C forgée à trois marteaux !
Comme je ne découpe pas tous les jours des portières de voiture, des demi-cochons pendus au plafond ni des épaisseurs triples de nattes en bambou, je me dis que si le couteau me plaît, au diable la mystique des aciers !!!!
CARPE DIEM !
DH - philosophe à deux balles ce soir …