baalot a écrit:Madnumforce a écrit: Des émoutures fines, des aciers durs, c'est courrir le risque d'avoir beaucoup de casse lorsque le couteau est mis entre les mains de l'acheteur moyen, et donc de se pourrir sa réputation.
Sans remettre en question ce que tu dis par ailleurs qui est certainement très vrai, je ne saurais en juger, les types de cuisines ont aussi pas mal à voir à mon sens. Ici depuis 200 ans quand on fait un bœuf bourguignon ou un suprême de volaille, facilement on casse les os, découpe la viande, émince les oignons, coupe les carottes et écrase les gousses d'ail avec le même couteau.
Il me semble que la cuisine asiatique, et en particulier la Japonaise, qui met plus l'accent sur des aliments découpés en "bouchées", avec une idée que le type de coupe va autant influencer le goût que l’assaisonnement, favorise l'émergence et l'habitude de couteaux plus spécialisés.
Non ?
Bon, là il me faut concéder un truc: en terme de couteau de chef, aujourd'hui on ne fait pas aussi bien qu'à l'époque où c'était forgé et émout à la main sur une meule. J'ai un vieux chef comme ça de 30cm, et il faut voir comment c'est fait: le dos fait 8mm à la base et le tranchant est plus épais, ce qui fait qu'on peut attaquer des os. Ensuite, ça s'affine très vite: l'ensemble de la lame est fine, mais la pointe est pratiquement une spatule. Ce couteau était fait pour faire tout ce que faisait un cuisinier. On ne peut plus vraiment faire des trucs pareils aujourd'hui, économiquement ça n'a plus de sens. En tout cas, le 8mm à la base on oublie. Mais en même temps, ça "ampute" juste de la capacité à attaquer les os, qui n'est pour le coup franchement pas techniquement exigent, et justifie d'être sous-traitée à un autre couteau/couperet/feuille pour concentrer le chef sur les tâches d'éminçage. Dans ce contexte, le tranchant épais n'est pas justifié; découper la viande, émincer les oignons, couper les carottes, se fait plus efficacement et proprement avec un couteau à émouture fine. Ecraser les gousses d'ail, rien ne le contre-indique.
Le couteau occidental a plutôt subit les profonds boulversements sociaux qu'ont connus nos sociétés. Avant, les couteaux de cuisine ne se retrouvaient pas entre toutes les mains: c'étaient essentiellement soit des cuisiniers professionnels qui suivaient un cursus proche de l'apprentissage, soit les femmes qui préparaient les repas pour la famille, enseignées aux bonnes pratiques de mère en fille. Donc au final les couteaux "de chef" étaient majoritairement utilisées par des personnes qui avaient été formées à leur utilisation, souvent dans une optique conservatrice/économiste (mal utiliser son outil, l'abîmer => une calotte des familles). Mais le couteau est passé d'outil à produit de consommation, comme tout le reste, avec un raccourcissement voire une disparition des "durées de formations", surtout familliales. Et quand je dis que "les gens" ne savent pas ce qu'est un couteau qui coupe, c'est vrai. On ne se rend pas compte à ne fréquenter que des obsédés de couteaux, mais pour le français lambda, un tranchant plat est normal. Scier et écraser ce qu'on cherche à couper est normal. Et même quand on leur affûte sous les yeux en expliquant la technique, la plupart des gens n'ont pas l' "implication" nécessaire pour l'entretenir, et 2 mois plus tard le couteau (qui a servi entre temps à couper le pain de campagne rassis, à désosser une épaule, à couper le gigot directement dans le plat en pyrex, etc) en est au même point qu'avant. Objectivement, ça n'a pas franchement de sens de proposer à ces personnes un tranchant qui serait clairement supérieur pour un passionné ou un pro averti, mais qui se trouve être fragile et très peu durable pour l'usage que eux en font.