
… mais il me semble que le sujet est existentiel !

Je rappelle d’emblée ce point : contrairement à l’idée que se fait un profane à l’écoute de cette expression, il n’est pas question d’un maréchal-ferrant qui serait affligé de manières particulièrement frustes …
A l’origine le terme « brut de forge », issu de l’industrie, désigne l’état de surface des sous-produits après forgeage qui n’ont pas été rectifié par des opérations ultérieures du type meulage, sablage, usinage, etc. … c'est-à-dire qu’on voit distinctement les marques des outillages à l’endroit des impacts et que la calamine qui s’est formée à température de forge est encore présente sur la pièce.
Application aux couteaux, seule vraie valeur de la vie

Pour le profane qui se serait égaré dans une coutellerie ou un salon, et souvent même pour le novice, une telle pièce attire des commentaires inquiets (« on risque pas le tétanos ?») ou peu élogieux (« t’as vu comment la lame est salopée ? »), au mieux une grimace polie.
Alors pourquoi aimerait-on le brut de forge ?
Pour l’amateur averti (ou converti), le brut de forge, c’est le gage d’un travail artisanal selon des procédés et un savoir-faire ancestraux, des connaissances et des moyens modernes, c’est le rappel de cette envoûtante couleur, de cette inimitable odeur, de ce tintement régulier, du mystère de la réticence de cet acier rendu malléable sous les coups répétés du marteau – ou alors, c’est juste qu’un gourou lui a dit que c’était vachement mieux, mais je préfère l’autre hypothèse

Bien sûr, pour avoir ce rappel, il faut avoir mis les pieds dans un atelier de transformation du métal, mais ça c’est une autre histoire …
Les plus férus vous parleront de bien tapoter l’acier dans le sens des fibres, non pas pour améliorer son transit mais pour s’assurer qu’on puisse plier la lame à angle droit dans un étau – c’est pas tant qu’elle soit vraiment plus utile dans cet état là

Faut-il pencher pour l’obscur effet d’élitisme ? Peut-être en partie pour certains : on a le sentiment, par la possession d’une pièce faite main, unique, aux significations occultes pour les non-pratiquants d’être supérieur aux autres, au moins en cela – piètre pis-aller, mais pourrait nier que de telles motivations existent ?
Faut-il parler de lobbysmes des couteliers pratiquants ? De martelage

Moi j’aime assurément une lame brute de forge

Oui, je sais, je suis chiant …


Et vous, vous aimez ?