ETPhonehome a écrit:Du coup j'ai une question pour celui qui doit être celui qui connait le mieux les premiers modèles de l''Atelier Perceval
Roland toi qui peut être pu côtoyer un peu Emmanuel Chavassieux, as tu eu l'occasion, à partir de 1997, de voir un ou plusieurs de ses modèles artisanaux qui auraient pu servir d'exemple pour les répliquer en version Perceval faisant partie de de la première gamme de la marque ?
Emmanuel "Manu" Chavassieux a été mon maitre d'apprentissage à partir d'octobre 1997.
Pour les grandes lignes de l'histoire, d'après mes souvenirs, il est arrivé à Thiers après avoir fait 5 ans de légion étrangère. Il a commencé l'apprentissage à la Maison des Couteliers mais l'a quitté avant la fin. Il a utilisé ses économies pour racheter la coutellerie Trait et a commencé à y faire ses propre modèles (il a brièvement été associé à Henri Viallon mais ils se sont fâchés). Ensuite, il a commencé a vendre ses couteaux sur les salons, dès le premier SICAC, déjà sous le nom Perceval (il était fan des légendes arthuriennes). C'est d'ailleurs sur un salon qu'il a rencontré un visiteur du nom d'Eric Perceval, directeur d'une agence de mannequins, qui surprit de voir des couteaux portant le même nom que lui a gardé contact avec Manu, jusqu'à finir par créer la SARL Atelier Perceval.
A mon arrivée, Manu faisait quelques pièces uniques entièrement à la main comme des sets de chasse, des poignards comme le "Trout & Bird", le Sgian Dubh (mais aussi "l'Util'" qu'on a pu voir aussi chez H. Viallon), et des couteaux basées sur quelques pièces de fournitures standard (je me rappelle d'un pliant qui utilisait juste une lame de Laguiole, sur un manche original.
Le premier Français commençait depuis quelques mois avec des fournitures découpées et une émouture machine et il venait de mettre au point le P60, dont les première pièces détachées avaient été fraichement livrées. J'ai commencé direct à me faire la main avec le Français et un modèle de table à manche tourné qui reprenait une lame estampée de Nontron re-meulée. D'ailleurs, le premier français n'avait pas au début cette pièce épaulée qu'on appelait une "mitre incrustée" on l'a ajoutée après pour renforcer le serrage de l'axe sans risquer de fendre les cotes.
Au bout d'un an, fin 1998, j'assurait toute la production tout seul. Un autre apprenti a été recruté (Jonathan Bourgeois) mais Manu l'a licencié avant la fin de son apprentissage. Ensuite il y a eu Jean-François Darly, apprenti également, qui a fini son apprentissage après avoir eu son CAP et n'a pas été prolongé.
C'est pendant cette période qu'a été conçu le T45, pas mal inspiré du Kiss de CRKT. Il portait ce nom car à la base il devait être en titane (pour le T) et peser 45 grammes (un peu comme pour le P60 : Perceval - 60 grammes, aussi une ref à une vieille bagnole). Manu n'a pas trouvé de sous-traitant qui pouvait faire ce qu'il voulait et il a finalement choisi de confier la fabrication à Maserin en Italie (on se tapait un gros boulot de reprise et de réglage sur quasiment tous les couteaux qu'on recevait de chez eux). On a aussi ajouté au catalogue le Bowie, déclinaison du couteau que j'avais fait pour mon neveu pendant mon apprentissage.
Je suis parti en 2001 après avoir fait un second "apprentissage", une formation en alternance chez Elementa, plus tard renommée "Metallica" avec Christian Moretti, d'abord en Normandie, puis dans le Tarn. Cette formule de formation était à la base payante mais une formule "contrat de qualification" avait été élaborée spécialement pour moi, car l'entreprise ne voulait pas assumer un plein salaire d'ouvrier qualifié à cette époque. Dans mon groupe, il y avait entre autres Ludovic Marsille, Alain Fouché, Mel Van Daalen Wetters et Nando Nava.
Je suis revenu chez Perceval (qui avait déménagé dans l'usine Lacroix-Mary) en 2003 après une période d'intérim dans pas mal de boites du bassin thiernois, certaines bien old school ! Pendant mon absence, Manu avait dessiné le nouveau français, le modèle liner-lock. Il s'était associé à Dominique Lacroix (devenu gérant), qui était autant fourmi que Manu était cigale. Jérôme Boutron avait été embauché en tant qu'ouvrier qualifié mais n'avait pas été gardé après sa période d'essai. Je me suis retrouvé seul avec des caisses contenant environ 3000 fournitures sans process de fabrication. J'ai mis ça au point et on a en chemin mis au point des pièces de montage spécifiques, des petites entretoises qui se sertissaient en quelques coups de pointeau. Manu a créé deux modèles d'une gamme de couteaux de chasse (petit poignard et couteau de camp) et moi les deux autres (un skinner avec un contre-tranchant "ouverture Zip" et une dague).
En 2004 est arrivé Yves Charles, qui a mis des thunes dans la boite pour qu'elle réalise un couteau de table avec la même qualité que le Français 2nde génération, ce qui allait donner le 9.47 (je me suis retrouvé seul ouvrier avec 4 patrons). Manu m'a demandé ce qu'on pouvait prendre comme acier et j'ai suggéré le 12C27, que l'on trouvait sur des couteaux de poche mais pas sur des tables. Les autres couteliers nous ont pris pour des fous, car d'après eux un acier qui ne passait pas bien au lave-vaisselle serait un échec. Nous, on voulait que ça coupe alors on est restés têtus. trois ans après, tout le monde utilisait le 12C27 sur les tables haut de gamme et le 9.47 faisait une trainée de poudre dans tous les bons restaurants et bistrots (en grande partie aussi grâce au réseau d'Yves Charles, chef étoilé). Il a d'ailleurs vendu son restau en 2006 ou 2007 pour se consacrer à Perceval à plein temps.
En 2008, Yves Charles s'est fâché avec Manu, qui était salarié en tant que designer mais qui n'avait rien créé depuis 4 ans et qu'on ne voyait pas souvent à l'atelier ("on" car avait été recruté un nouvel ouvrier qualifié, Yoann Ziegler, qui avait fait son apprentissage chez Fontenille Pataud, époque Gilles Steinberg). Je ne sais plus si c'était exactement à ce moment là, mais je pense qu'un apprenti, Pierre Gauthier est arrivé peu après et l'année suivante Nicolas Noguès. Yves Charles a racheté les parts d'Eric Perceval est devenu largement majoritaire et a viré Manu. La boîte avait creusé un gros déficit, 40 000€, pour un CA de 80 000€. Yves Charles a pensé à récupérer les billes qu'il pouvait et ensuite plier l'entreprise. J'ai réussi à le convaincre de ne pas tout foutre en l'air, car on avait un savoir faire et une bonne réputation. Il m'a dit que ça serait la dernière fois qu'il mettrait la main à la poche.
Il m'a nommé chef d'atelier, nous avons à deux restructuré toute la tuyauterie de la boite, j'ai créé la série L et stoppé le P60 (qui générait trop de retours). Par la suite, Perceval a connu une croissance d'environ 100% chaque année jusqu'en 2013, pour arriver à 18 salariés et 1,2 million de CA. Peu après le licenciement de Manu, Yves a racheté les parts de Dominique Lacroix et est devenu le nouveau gérant. Il m'a demandé d'en prendre quelques unes, pour que l'entreprise puisse lui accorder un salaire (Manu avait encore des parts et ils n'étaient pas en bons termes). Par la suite, Eric Perceval a réussi a convaincre Manu de lui vendre ses parts et est donc revenu dans le bateau.
En 2010, l'entreprise a déménagé sur le site qu'elle occupe encore actuellement, avenue des Etats Unis. Sont arrivés Cyrille Rougier, Thomas Thiroux, Sonia Genest et Guillaume André. Yoann Ziegler est parti, Joel Puyo est passé un moment, puis Jean-François Darly a fait un bref retour. Ensuite sont passés plus ou moins longtemps Pierre Thomas, Nicolas Piot, Silas Mabilde, Thomas Bannwarth, Alexandre Broton, Cédric Lamballais, François Toussaint et Françoise Beaurez. Je ne me souviens plus de tous les noms de famille, mais il y a aussi eu Barbara, Sabine, Anna, Raphaël, Julien, Olivier, Eloïse, Arnaud et Marie Taillardat, juste avant que je parte en 2014. Dans cette période, j'ai développé le Grand, le 888, l'Adret, une nouvelle gamme de couteaux de chasse, la gamme de couteaux de cuisine forgés...
Après mon départ, j'ai perdu le contact en général, à part avec quelques employés rencontrés par ci par là, comme Matthieu, Ludovic (viré de façon dégueulasse), Hubert...
La boite a connu un gros creux de vague, avec plus de 30 départs en 5 ans et une grosse baisse d'activité mais d'après ce que j'entends, elle se porte mieux désormais avec le nouveau patron Félix Poché, que je ne connais pas personnellement.
Quant à Manu depuis qu'il est parti, il a fait un couteau de table avec la Générale de Découpage et s'est fait un nom dans les salaisons avec ses saucisses coupées au couteau.
Yves Charles loue maintenant des bateaux de plaisance vers les Sables d'Olonne.
Eric Perceval de ce que j'en sait est toujours patron d'agences de mannequins, il a même été président européen de l'union des agences.
Dominique Lacroix profite d'une retraite bien méritée.
Voilà, j'ai essayé de creuser au maximum mes souvenirs malgré l'heure tardive. Désolé si j'ai oublié du monde. Ca a été une sacrée aventure !